"La marque du genre" in Le nom de la femme - pp.225-237



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                    C H A P I T R E    I I


 


              L A   M A R Q U E   D U   G E N R E


 


1 / La distribution des marques dans la "Grammaire Structurale".


 


     Nous avons vu que la notion de masculin non marqué est utilisée dans les grammaires scolaires sous forme d'affirmation de principe et qu'elle conduisait à un certain nombre d'illogismes. Nous avons vu également que la déclaration de l'Académie Française  basée sur cette même notion  se distinguait par le caractère lacunaire de la démonstration qui taisait en particulier le cas du substantif masculin singulier déterminé. La notion de marque est à la base de la position de Jean Dubois, telle qu'elle apparaît dans sa "Grammaire structurale" ("Nom et pronom", "Le genre",pp.52-90) et son "Dictionnaire de linguistique" (J.Dubois et al. éd. revue et corrigée 1985).


 


     Avant d'examiner les déclarations concernant la notion de marque , nous regarderons le tableau ci-joint des pages 64-65 de "Nom et pronom", qui constituent une illustration de la théorie de la marque utilisée dans l'ensemble du chapitre . Nous comptons 13 paires d'exemples. Il a été posé (nous reviendrons sur les déclarations initiales) que le masculin est non marqué en genre, il n'y a en effet dans ce tableau aucun masculin marqué en genre: on relève seulement comme déterminants : "la", "ma", "cette", qui sont dits marqués en genre (signe +), et "l'" et "leur" qui sont dits non marqués en genre (signe 0), ceci correspond exactement à notre propre position; de même pour les adjectifs : "sortie", "bavarde", étourdie", "vive", "partie", "objective", "jolie", "sérieuse", sont dits marqués en genre au moins à l'écrit, et s'opposant à "aimable". Nous reconnaissons 2 divergents au féminin    (vive, objective), 2 divergents oraux au féminin (bavarde, sérieuse), 3 bivalents oraux graphiés au féminin (sortie, étourdie, jolie), qui sont opposés au seul "aimable", qui n'est pas une forme masculine mais un bivalent parfait. L'absence de marque au masculin n'est pas illustrée dans ce tableau en ce qui concerne les déterminants et les adjectifs, il n'est fait état d'aucune opposition marquée + ou 0 entre forme masculine et forme féminine, entre "bavarde" et "bavard", ni entre forme masculine et bivalente, entre "bavard" et "aimable". La seule opposition qui est établie est celle que nous reconnaissons entre les formes dédoublables et les formes bivalentes, mais les formes dédoublables ont été utilisées sous la seule forme féminine déclarée marquée par opposition à "aimable". Le tableau est juste en ce qui concerne l'opposition féminin/bivalent, pas l'opposition, s'il en existe une, entre féminin et masculin. Il n'est pas possible de retenir ce tableau comme montrant que le féminin est le genre marqué par rapport au masculin, puisqu'il n'y a aucun masculin hors "Le concierge est aimable" posé au début en dehors du tableau et non commenté: il n'est rien dit de ce que peut être la valeur de "le".


 


    On le constate de même pour les noms (tous "empruntés à la classe A", c'est-à-dire la classe des animés): l'auteur a opposé le seul bivalent "concierge" à l'élément "avocate" de l'alternance "avocat-avocate", "historienne" de l'alternance "historien-historienne", etc. soit un terme unique quant au genre à des termes qui sont des éléments d'une alternance : la démonstration n'est pas terminée, comment faut-il considérer l'autre élément de l'alternance ? Il n'y a pas équivalence morphologique entre ce qui est "opposé", l'opposition ne peut être déclarée binaire car "historienne" peut-être opposé à "concierge" au même titre que "historien" . Il convient en ce sens de réfléchir non pas sur le marquage comparé de :


      - La concierge est aimable


et    - L'historienne est objective


mais :


      - Une historienne est objective    3 marques


      - Leur concierge est aimable     aucune marque


et    - Un historien est objectif     dans la présentation de la "Grammaire structurale" marquage non étudié. 


 


     S'il n'y a aucune désambiguïsation contextuelle, rien ne permet de déterminer ni le genre ni le sexe de "leur concierge est aimable", nous sommes ici d'accord avec la "Grammaire Structurale"  pour laquelle il y a "absence d'information en ce qui concerne le genre" (dernière ligne p.65). [...] Si la marque est quelque chose que l'on ajoute, acceptons provisoirement qu'il y ait quelque chose d'ajouté à "employée" ou "historienne" non pas par rapport à "concierge" mais par rapport à "employé" et "historien". Qu'y a-t-il alors d'ajouté à l'intérieur du terme "fille" dans "ma fille est une étourdie" ? des considérations étymologiques remontant à filius-filia doivent-elles rentrer dans le raisonnement ? Il est évident que non, ce n'est pas par une opération d'addition que l'on obtient "fille" à partir de "fils", encore moins si l'on comparait "soeur" à "frère". L'objectiona été prévue dès la première page du chapitre (p.52) :


     "Envisageons le cas où le passage du masculin au féminin entraîne une commutation dans le segment principal du syntagme nominal :


   -Mon frère arrive ce soir.


   -Ma soeur arrive ce soir.


Comme précédemment il y a utilisation de l'opposition mon/ma, (...) mais il a fallu modifier totalement le segment; certes, "frère" et "soeur" ont des systèmes de distribution qui ne diffèrent justement que par cette utilisation, et c'est ce qui permet de dire que "frère" sert de masculin au féminin "soeur", ou réciproquement; on fait appel ainsi à des oppositions de type paradigmatique pour traduire l'opposition sémantique de sexe . La différence avec le cas précédent /le ou la concierge/ réside dans le fait que le locuteur, lorsqu'il a décidé d'employer "soeur" ou "frère", n'a plus le choix du genre, comme dans le cas de concierge."


 


     Je n'ai pas connaissance d'éventuels examens de batteries de syntagmes qui auraient permis l'affirmation selon laquelle "frère et soeur ont des systèmes de distribution qui ne différent" que par l'alternance des déterminants ailleurs que dans des exemples fabriqués, il m'apparaît que c'est le contenu notionnel et non pas seulement "l'opposition sémantique de sexe" réalisée par l'alternance mon/ma qui fait que l'on reconnaît l'alternance "frère-soeur" plutôt que "frère-tante" ou "neveu-soeur" : il resterait pour moi à démontrer d'abord en quoi le terme "soeur" ou le terme "fille"  est "marqué" autrement que sémantiquement, pour ensuite préciser en quoi l'appartenance au sexe féminin est une "marque", en veillant à ne pas dépasser les limites d'une étude distributionnelle d'un corpus convenablement représentatif. Le marquage du tableau des pages 64-65 est donc un bon exemple de l'opposition entre bivalents et éléments féminins d'un ensemble morphologique alternatif, sauf dans les exemples "ma fille est étourdie" et "ma fille est vive" où c'est le sens et non une marque formelle qui permet de commuter "fille" avec seulement "fils" et pas "frère" ou "oncle".     On constate donc dans le tableau étudié d'une part que  le masculin n'est pas vu,d'autre part qu'un terme est considéré comme "marqué" alors qu'il ne porte aucune marque formelle (pas plus que "gorille" ou "pupille", le premier masculin, le deuxième bivalent). Il nous faut donc chercher ailleurs une éventuelle justification du fait que le masculin est "non marqué".


 


2 / La "marque" dans le "Dictionnaire de Linguistique".


         Nous remonterons d'abord à l'origine de la notion de marque telle qu'elle est présentée dans le "Dictionnaire de Linguistique". Nous trouvons à la page 309 qu'elle est d'abord un outil de raisonnement en phonologie: la "marque" y est "une particularité phonique dont l'existence ou la non-existence dans une unité donnée suffit à l'opposer aux autres unités de même nature de la même langue", ainsi /b/ voisé s'oppose à /p/ non voisé, /p/ est alors considéré comme non-marqué ; nous ajouterons: non-marqué par un phénomène considéré ici commme significatif, le voisement. [...] Nous retiendrons encore ce qu'est dans ce système la "neutralisation" :


     "En position de neutralisation, c'est la forme non- marquée qui réalise l'archiphonème"


et des exemples tirés du russe, de l'allemand et de l'italien montrent que la forme non-marquée est celle qui est utilisée en position de neutralisation (en initiale ou en finale) et que c'est  donc elle qui a la distribution la plus large. 


 


     Disons en résumé que la forme marquée est donc dans ce système la forme qui comporte une addition par rapport à une forme posée comme initiale et de marque 0, et que la forme non-marquée a la distribution la plus large parce qu'elle est utilisée et spécifiquement et "en position de neutralisation".


 


     Avant de continuer à propos du genre, remarquons d'abord que dans le cas du "voisement" donné en exemple, c'est le non-voisement qui est considéré comme la donnée initiale, le voisement comme une addition - et que bien probablement la matière d'étude se prêtait à ce point de vue . Mais qu'il est possible de concevoir la situation inverse, de prendre le caractère voisé comme donnée initiale et de considérer l'assourdissement éventuellement suivi d'amuïssement comme l'addition, et les sons touchés par l'assourdissement comme donnée seconde. On peut aussi reconsidérer le cas de la nasalisation : un son  /an/  comporte une addition par rapport au son  /a/ , la nasalisation, mais comment analyser l'opposition, ou le rapport, terme qui me paraît préférable, entre  /an/ , soit  /a/  marqué par la nasalisation, et  le son graphié /ane/  , soit   /a/  suivi d'une consonne nasale? Il semble qu'il soit plus juste de parler d'alternance entre consonne nasale et nasalisation.


 


     Le paragraphe 2 de l'article "Marque" déclare :


     "On a étendu la notion de "marque" de l'analyse phonologique à l'analyse morphologique et lexicale. Le cas marqué présente l'ensemble des caractéristiques de la forme non-marquée plus une, et on retrouve les divers problèmes posés par la notion de marque (détermination du cas marqué, caractère pertinent de la marque, etc.), ainsi que les notions complémentaires de celle de marque (par exemple notion de neutralisation).(...) La description morphologique a largement exploité l'opposition marqué vs non-marqué, , par exemple pour l'étude de la catégorie grammaticale du genre (masculin non-marqué, et féminin marqué)."


     Il n'y a pas d'exemples illustrant en quoi peut consister la marque de genre, il y a seulement plus bas l'exemple de l'opposition "je" vs "tu" neutralisé dans le pronom "nous".Nous reprendrons plus bas nos réflexions sur l'utilisation de la notion de marque à propos du genre pour nous arrêter encore à un point de l'article qui touche non pas à un phénomène formel, mais à une interprétation sémantique, dans le domaine lexicologique, où intervient la notion d'antonymie , qui est  une notion sémantique. On se rappelle nos interrogations à propos d'un exercice de grammaire proposé à des enfants leur demandant quel était le "contraire de "savante", "adversaire" ( "savant" ou "ignorante" ? "adversaire" avec changement intrinsèque de genre ou "partenaire" ?). Nous trouvons dans notre article le rappel de théories selon lesquelles


     "un couple antonymique du type "nuit" vs "jour" est susceptible d'une description par non-marqué vs marqué, la neutralisation attestée par certains contextes ("ce jour-là, à minuit"), permettant de définir "nuit" comme le cas marqué de l'opposition".


     L'exemple proposé me paraît démontrer non pas  l'éventuel caractère "marqué" de "nuit", mais l'extrême prudence avec laquelle il convient de manipuler la notion de marque en matière autre que phonologique, puisqu'il est en fait impossible de dire:


     * " ce jour-là, pendant la nuit ",


le terme "nuit" contenant le sème "durée", "minuit" étant un autre terme ne contenant que le sème "moment".


 


     Il reste à noter que, contrairement à la définition donnée dans le DFC, le masculin n'est pas défini en son lieu (p.311) comme le genre non-marqué, il est dit s'opposant au féminin et représentant le terme "mâle" dans le "genre naturel", et l'article est rédigé de manière rigoureusement complémentaire de l'article "féminin" de la page 213, le féminin n'y étant pas plus dit "marqué".     


    


     De même que le tableau étudié plus haut ne démontre   que l'opposition féminin-bivalent et donc ne démontre rien quant au masculin non-marqué, de même le "Dictionnaire de Linguistique" ne montre pas en quoi le masculin est non-marqué et n'inclut pas cette caractéristique dans la définition du masculin.


 


3 / Les autres déclarations du chapitre "Le genre".


     Il nous faut donc nous retourner vers la rédaction du chapitre "Le genre" dans la "Grammaire structurale" pour déceler la justification de ce que le masculin est le genre non- marqué. La première partie (p.52-53) établit la différence entre le genre et le nombre : le choix du nombre  est possible pour tous les substantifs , le choix du genre ne l'est que pour une partie des substantifs. La deuxième partie distingue les classes A et I (animés et inanimés réduits volontairement à l'initiale pour que ne soient pris en compte que les critères formels et non les concepts "animés" et "inanimés") (critères formels : principalement substitution par qui?/que? et personne/rien). Le paragraphe qui nous intéresse plus particulièrement est celui qui est intitulé "L'opposition de genre dans la catégorie A" (p.56-57). Nous allons en commenter ce que je considère comme les principales déclarations.


 


     a) Le postulat.


     La déclaration de départ est la suivante :"Morphologiquement le masculin se présente comme le cas non-marqué (...) et le féminin comme le cas marqué (...) cela se manifeste dans les séries corrélatives de masculins/féminins par la présence d'un trait supplémentaire  dans les paradigmes du féminin.(...)"


     Il y aura lieu de reconsidérer cette déclaration à la lumière des "séries corrélatives" des pages 69 à 74, mais pour l'instant le masculin est simplement déclaré "non-marqué" sans justification autre  que "la présence d'un trait supplémentaire" marquant le féminin , formule large dont on peut regretter que l'illustration n'intervienne qu'à la fin de la démonstration, alors que la propriété que l'on attribue au féminin sert de base au raisonnement dès le début.


    


     Qu'il s'agisse d'un postulat est mis en evidence par ce qui suit (que je souligne) : " La neutralisation de la marque du féminin . Si nous posons en principe que le féminin est le cas marqué , cela a pour conséquence la disparition de la marque dans les systèmes de corrélation où existe déjà une marque d'un autre type. Ainsi l'opposition le/les met en évidence la marque du nombre ; l'opposition le/la met en évidence la marque du genre ; mais il n'existe pas de forme qui porte en même temps la marque du féminin et celle du pluriel, ou plutôt dont la marque puisse être interprétée à la fois comme féminin et comme pluriel."


    Les exemples illustrant ce raisonnement sont :


     -LE candidat est heureux d'avoir réussi.


     -LA candidate est heureuse d'avoir réussi.


     -LES candidats sont heureux d'avoir réussi.


Il semble qu'au postulat formulé, que le féminin est le genre marqué, s'ajoute un postulat sémantique implicite, que "Les candidats" inclut automatiquement et dans tous les cas "le candidat" et "la candidate", ce qui est facilement contestable et dont nous traiterons plus loin. Est-il possible de dire avec Jean Dubois à propos de "les" que:


 "seuls existent graphiquement des suites de signes indiquant chacun soit le féminin, soit le pluriel" ?


Que dire de "le" pris comme départ mais dont on ne dit pas qu'il est masculin ? Faut-il penser d'autre part comme Du Marsais au XVIIIe siècle que "les" = "le" + s sans tenir compte du changement de prononciation ? Nous remarquerons d'autre part que si dans le tableau étudié plus haut a été exploitée l'opposition bivalent/féminin pour concrétiser la marque du féminin, ici est exploitée une forme masculine , "candidats", rapprochée de "les", et non une forme bivalente comme "les concierges", ou une forme féminine, "les candidates", pour laisser entendre que le masculin est non-marqué . Le raisonnement démontre bien que "les" est en effet non-marqué, mais pas plus au féminin qu'au masculin. Le système d'opposition quant au genre n'est pas "la" ou "les" s'opposant à "le", mais "les", marque du nombre bivalente, s'opposant à "la" tout comme il s'oppose à "le":


     - La concierge est aimable,


     - Le concierge est aimable,


     - Les concierges sont aimables,


exemples où le raisonnement est restreint à la seule marque du déterminant sans interférences avec des marques portant sur d'autres termes .


    Il semble, et c'est ce que montre la suite du développement, qu'un  postulat de départ ayant été posé, il soit fait appel pour le démontrer à des exemples choisis dont sont déduites des règles dites ensuite générales, lorsqu'il n'est pas fait appel à des règles posées a priori comme générales pour appuyer les autres généralisations. Il  est ainsi affirmé plus loin (p.57) que "homme" "peut devenir la forme neutralisée de l'opposition de genre" ( le "peut" ne présente qu'une possibilité), pour continuer en disant "Le phénomène est très général en français" sans aucune considération des problèmes effectifs que soulève l'usage des "génériques" dans l'usage français, avec intervention à nouveau de critères sémantiques , comme on le voit dans :


     "Le masculin apparaît non seulement en fonction de générique"     premier critère sémantique,


     "mais encore pour désigner la femme qui exerce cette profession"    deuxième critère sémantique.


     Le caractère "non-marqué" ne paraît pas démontré comme un caractère formel, la "généricité", nous le développerons plus bas, pose toute une série de problèmes qui dépassent les méthodes distributionnelles proprement dites, et aborder l'aspect sémantique ou sociologique du problème de la dénomination féminine peut paraître un renversement abusif du problème, lorsqu'il est utilisé comme justification de la thèse proposée.Le raisonnement , dans une construction très cohérente si l'on ne tient pas compte de la non-démonstration de départ, se termine en effet par la constatation que :


     "Dans le lexique des noms de métiers, le féminin des substantifs est donc considéré comme péjoratif ou simplement dépréciatif ",


les exemples de dépréciation étant "doctoresse, chefesse, etc." ( ces deux exemples seulement). Nous remarquons à nouveau qu'il est fait appel aux quelques exemples qui en effet sont péjoratifs pour appuyer la thèse et qu'est généralisée une impression dont nous avons constaté dans notre observation exhaustive du lexique qu'elle ne se justifiait pas. Le renversement consistant à considérer cette infériorisation  de la dénomination féminine - que nous savons limitée mais effective -  comme une conséquence d'un phénomène linguistique en écartant toute la dimension sociologique du problème et plus particulièrement le fait que l'infériorisation sociale de la femme ne se voit corrigée dans la communauté française que depuis quelques années ( pas même 50 d'égalisation politique de principe). Nous posons en sens inverse que c'est cette infériorisation sociale de la femme qui conduit un certain usage linguistique à déprécier dans un certain nombre de  cas la dénomination féminine, hors les exemples en -esse appartenant à un système morphologique effectivement désuet.


 


     L'étude distributionnelle telle qu'elle apparaît dans la "Grammaire structurale" ne met pas en évidence le caractère "non-marqué" du masculin, les considérations sémantiques ont été et seront discutées dans notre travail, l'introduction de la dimension sociologique est faite sous forme de conséquence alors que cette dimension englobe entre autres le phénomène linguistique, qui est l'une des manifestations des rapports sociaux.


 


      b) Les variations.


      Il reste à examiner la partie intitulée "La nature des marques" aux pages 69-73, pour voir si la description proposée est différente de celles que nous avons commentées dans les ouvrages étudiés précédemment et si elle justifie a posteriori l'utilisation du postulat du masculin non-marqué. En voici un condensé:


 - " Variation zéro/consonne" :  le "zéro" est illustré par la forme masculine, L'addition de 7 consonnes différentes est illustrée par des formes féminines ( ex. grand / grande ).


 - " Variation consonantique et variation de timbre " : série er-ère.


 - " Variation voyelle nasale / voyelle orale + nasale " (ex. bon/bonne ).


 - " Variation consonantique " : comme vendeur-vendeuse, vif-vive.


 - "Variation vocalique + variation zéro / consonne" : comme beau-belle.


 - Variation zéro / -esse.


 - Variation -teur-trice.


 - " variation x / zéro " comme mulet/mule.


Enfin l'"opposition entre deux segments différents" comme père-mère, à propos desquels il est dit : " La fréquence et les rapports entretenus entre les diverses unités justifient que ce microsystème soit représenté, pour le genre, par des oppositions spécifiques entre les unités lexicales", reprise de l'argumentation utilisée au début du chapitre pour frère-soeur sous la même forme générale sans démonstration distributionnelle, mais réutilisé comme analysable en marque formelle du féminin dans le tableau d'opposition des féminins aux bivalents. Nous ne pouvons donc retenir dans une optique structurale cette déclaration avancée sous forme d'argument. Ce qui est démontré, c'est la nécessité de faire intervenir la dimension sémantique dans l'étude du genre, or il n'est pas possible d'amalgamer marque formelle et on ne sait quelle marque sexuelle. Nous ne retiendrons donc ici pour notre raisonnement que la partie concernant les 8 catégories de "variations" présentées.


 


      - Pour remarquer d'abord que la "Grammaire structurale" focalise l'observation sur les seuls divergents et restreint, au contraire du tableau des distributions, le marquage à la seule langue orale. Les bivalents écrits sont écartés (ami-amie) . Le féminin ayant été dit dès le départ du chapitre comme la forme marquée, les seules formes substantives et adjectives données sont des formes où effectivement il y a marque du genre, la question de l'absence de marque , de non-opposition, qui concerne les bivalents, n'est pas prise en considération, alors qu'elle est exploitée dans le tableau de distribution des marques.


   


     -  Pour constater que le terme utilisé à propos de la "nature des marques" est à chaque paragraphe le terme "variation", comparable à notre propre terminologie, où nous employons les notions d'"alternance" et de "dédoublement". Le "Dictionnaire de Linguistique  " déclare :


     "Le cas marqué présente l'ensemble des caractéristiques de la forme non-marquée plus une" (p.309).


" Plus une " signifie une opération d'addition. Or  la "Grammaire Structurale" intitule "variation", et à juste titre pour nous, y compris l'alternance "zéro/consonne" où à l'oral le féminin se caractérise par l'addition d'une consonne par rapport à la forme masculine, et même l'alternance "zéro/-esse". S'il y a variation, qu'est-ce qui permet de poser comme principe de départ que le féminin est le seul genre marqué ? On garde d'autre part présent à l'esprit que de toute manière les divergents présentés ne constituent que 35% des adjectifs (notre tableau p.36) et 55% des substantifs (notre tableau p. 61) ; si la "marque" est une addition, en dépit de l'intitulé "variation", le texte étudié présente en fait les seuls groupes "zéro/consonne" et "zéro/-esse" comme des additions; ces groupes constituent dans nos tableaux, sous l'intitulé "divergents oraux" et "noms à féminin suffixé" un quart (26%) des adjectifs et un quart (28,4%) des substantifs.


   


      La partie intitulée "La nature des marques" ne démontre pas que le féminin est le seul genre marqué


     -parce que les groupes étudiés ne constituent qu'une 


      fraction minoritaire de l'ensemble en question;


     -parce que le terme utilisé, "variation" pose, et à juste titre, le caractère comparable des deux éléments mis en rapport, la forme féminine  et la forme masculine : comparable et non pas dérivé, par addition en particulier.


 


 


     c) La faillite de la théorie.


     De même que le raisonnement erroné mais de bonne foi du Petit Robert avait permis dans "Le nom de personne selon le sexe" de déceler la faille dans la définition de "homme", de même la volonté d'établir une  démonstration réellement objective et un développement approfondi permettent  de déceler dans la "Grammaire structurale" en quoi consiste la faille de la théorie du masculin non-marqué, qui est invoquée ailleurs, nous l'avons vu, sous une forme que l'on peut appeler incantatoire , quels que soient les illogismes qui en découlent, ou comme soubassement d'arguments de mauvaise foi. On se rend compte que si la "Grammaire structurale" fait interférer, d'une manière qui n'est pas décisive, mais avec prudence, seulement à titre complémentaire, des interprétations sémantiques, l'Académie Française s'empare de la seule formule "genre non-marqué", pour développer un raisonnement principalement  sémantique où la "généricité" du masculin est avancée sans précaution tout comme l'argument de la péjoration du féminin.


 


      Le conditionnement auquel chacun de nous est assujetti dès l'enfance en une spirale où on commence par le subir pour ensuite chercher à le justifier conduit ici à théoriser en rassemblant de manière cohérente les conséquences de la situation sociologique et psychologique dont nous avons étudié les manifestations dans les grammaires : la première en est le refus de considérer le masculin comme une forme particulière, c'est-à-dire le besoin de s'occulter le fait que le masculin répond à des caractéristiques morphologiques qui lui sont propres. Dire que le masculin est non-marqué, c'est ne pas considérer la morphologie propre du masculin. En démontrer le postulat par des interprétations sémantiques et des considérations sociologiques, c'est ériger la conséquence en cause.


     On trouve dans la "Grammaire structurale" :


 - Une première proposition non vérifiée posée en postulat : le masculin est non-marqué (les tableaux analytiques n'établissant pas l'opposition masculin/féminin mais l'opposition féminin/bivalent, et l'association masculin-féminin montrant une "variation" et non des additions );


 - Une deuxième proposition vérifiée par une expérience empirique partielle: le masculin est utilisé comme non-inférieur (plus large, "générique", "neutralisant").


     Le corollaire en est  que :


 - le féminin est marqué, ce qui suppose qu'il comporte formellement une addition par rapport au masculin ( malgré la  contradiction avec la présentation des "variations" ) , en quoi nous retrouvons le discours sur le féminin tenu depuis Palsgrave.


 - comme tout ce qui est "marqué", il s'efface devant ce qui est  non-inférieur, et s'il se maintient, il est déprécié. Du XVIIe au XIXe également, il était moins "noble".


 


     Ayant commencé par considérer l'ensemble du système morphologique français, je pose quant à la marque du genre les propositions suivantes :


 - 1 / Le féminin comme le masculin des adjectifs et des noms de personnes sont marqués formellement,sauf dans un certain nombre de syntagmes parfaitement bivalents et principalement au pluriel.


 - 2 / Le masculin est cependant utilisé dans un certain nombre de cas comme non- marqué sémantiquement, nous allons en réexaminer les principales conditions.


 - 3 / Lorsque le masculin est utilisé sans discernement, c'est-à-dire sans aucune considération de son caractère marqué, ou en forçant son emploi dans un usage conditionné par un apprentissage orienté idéologiquement, il en résulte un déséquilibre dans le système formel comme dans le système sémantique préjudiciable à la qualité de la communication.